Le devoir de réserve

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le devoir de réserve en période de réserve électorale ? cliquer ici

Le SNALC constate, déplore et condamne la remise en cause récurrente de la liberté d’expression des enseignants par nos différents échelons hiérarchiques.
Le SNALC vous propose une mise au point salutaire, sourcée et réfléchie sur ce sujet, écrite par Alexandre FIEBIG, professeur agrégé et commissaire paritaire, SNALC Créteil.

Rappelons solennellement les propres mots d’Anicet Le Pors (ancien ministre de la Fonction Publique) à propos du prétendu « devoir de réserve statutaire » mis en avant à tort et à travers :

« J’ai rejeté à l’Assemblée nationale le 3 mai 1983 un amendement tendant à l’inscription de l’obligation de réserve dans la loi en observant que cette dernière « est une construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait dépendre la nature et l’étendue de l’obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie » et qu’il revenait au juge administratif d’apprécier au cas par cas. Ainsi, l’obligation de réserve ne figure pas dans le statut général et, à ma connaissance, dans aucun statut particulier de fonctionnaire, sinon celui des membres du Conseil d’Etat qui invite chaque membre à « la réserve que lui imposent ses fonctions ».

Source : article d’Anicet Le Pors in Le Monde du 31 janvier 2008 : cliquez ici

Cet état de fait est rappelé en octobre 2007 par le Ministre de la Fonction Publique en réponse à une question au gouvernement sur la tenue d’un blog par un fonctionnaire :

« L’obligation de réserve, qui contraint les agents publics à observer une retenue dans l’expression de leurs opinions, notamment politiques, sous peine de s’exposer à une sanction disciplinaire, ne figure pas explicitement dans les lois statutaires relatives à la fonction publique. »

Le Ministre précise que

« Son auteur, fonctionnaire, doit en effet observer, y compris dans ses écrits, un comportement empreint de dignité, ce qui, a priori, n’est pas incompatible avec le respect de sa liberté d’expression. »

Source : question au gouvernement n°107547 du 24 octobre 2006 : cliquez ici.

En 2016, alors que le Sénat souhaite inscrire le devoir de réserve dans le projet de loi sur la déontologie et les droits et obligations des fonctionnaires, la commission mixte paritaire a tranché : ce principe restera jurisprudentiel :

« Le devoir de réserve des fonctionnaires doit-il être inscrit dans le projet de loi relatif à la déontologie, aux droits et obligations des fonctionnaires ? Alors que le Sénat souhaitait inscrire le devoir de réserve dans ce projet de loi, la commission mixte paritaire a tranché : le devoir de réserve ne sera pas inscrit dans la loi et restera de la sorte un principe jurisprudentiel. »

Source : Public Sénat, émission du 29 mars 2016 : cliquez ici.

Le cabinet d’avocats FTPA distingue explicitement comment le principe fondamental de neutralité induit les différentes obligations qui sont de nature à restreindre la liberté d’expression du fonctionnaire :

« – L’obligation de secret2 interdit à l’agent public la divulgation d’informations dont il a connaissance du fait de ses fonctions (sanctions pénales : un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende3).

L’obligation de discrétion professionnelle4 interdit à l’agent public la divulgation d’informations relatives au fonctionnement de l’administration dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions. (secret défense, secret de l’instruction etc.).

– Pendant comme en dehors du service, la liberté d’expression du fonctionnaire a pour limite le respect d’un devoir de réserve qui varie selon le statut particulier régissant son corps, la nature de ses fonctions, son rang hiérarchique, les circonstances de temps et de lieux, le sujet abordé et enfin la nature de la publicité donnée aux propos tenus.

Ce devoir de réserve est une construction du juge administratif, liée au principe de neutralité, principe fondamental du service public reconnu par le Conseil constitutionnel5. À ce titre, tout fonctionnaire doit faire preuve de réserve et de mesure dans l’expression écrite et orale de ses opinions personnelles à l’égard des administrés et des autres agents publics.

L’ingérence des autorités publiques au titre du contrôle de la liberté d’expression des fonctionnaires sera d’autant plus régulière qu’il aura eu des propos de défiance envers son employeur public, c’est-à-dire qu’un lien avec le service pourra être établi.

Plus encore que le fond de ce qui est exprimé, c’est la manière dont l’opinion va être émise, la publicité qui va lui être donnée qui la rendra sanctionnable au titre du devoir de réserve. »

Sur internet et les réseaux sociaux, la liberté d’expression et la liberté d’opinion est aussi confrontée au devoir de réserve.

Source : article dans Weka.fr du 28 avril 2014 : cliquez ici.

Relisons enfin l’article 6  – fondateur – de la Loi Le Pors du 13 juillet 1983 :

« La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires ».

Source : cliquez ici.

On complètera très utilement par le plus récent article d’Anicet Le Pors sur cette question (cf supra) qui souligne qu’on n’insistera jamais assez sur le fait que la maîtrise de la liberté d’opinion et de la liberté d’expression en appelle, d’une part à l’esprit de responsabilité de chaque fonctionnaire (sans qu’il soit besoin ni souhaitable d’avoir à se reporter à un quelconque « code de déontologie ») et, d’autre part, à la mutualisation des informations et des prises de positions dans les cadres associatifs et syndicaux, toujours préférables (sauf lorsque ces cadres n’existent pas, ce qui est exceptionnel) à la manifestation individuelle souvent plus complexe, discutable et risquée.

En conclusion, l’obligation de réserve n’est pas inscrite dans la loi. C’est une construction prétorienne, c’est-à-dire jurisprudentielle. Elle prolonge en dehors du service trois obligations : celles de neutralité, de secret et de discrétion professionnels.

Cette obligation signifie que tout agent, lorsqu’il s’exprime publiquement, doit veiller à ce que ses propos ne portent pas atteinte aux pouvoirs publics, à ses collègues, à sa hiérarchie… de manière trop directe et violente. Il doit donc faire preuve de mesure.

La portée de cette obligation est appréciée au cas par cas par l’autorité hiérarchique, qui peut sanctionner un fonctionnaire en invoquant un manquement à l’obligation de réserve. L’autorité hiérarchique se place alors de fait sous le contrôle du juge administratif : le fonctionnaire sanctionné au nom de l’obligation de réserve peut, après avoir formé préalablement un recours gracieux, puis éventuellement hiérarchique, aller au contentieux en contestant la sanction au Tribunal Administratif. Il y a d’ailleurs tout intérêt.

Le SNALC Aquitaine vous invite à ne pas utiliser votre messagerie académique pour communiquer en dehors de vos obligations professionnelles.

Si vous êtes mis en cause pour votre hiérarchie dans le cadre de votre liberté d’expression, ne restez pas seul et contactez le SNALC Aquitaine qui saura mettre en œuvre efficacement votre défense avec le soutien de notre conseil juridique Maître Stéphane Colmant.

« L’obéissance hiérarchique, qui est un principe cardinal, ne saurait échapper aux questionnements : obéir, ce n’est pas se soumettre, ni renoncer à penser, ni devoir se taire ; ce principe s’assortit même, dans des cas exceptionnels, du devoir de désobéir »

Jean-Marc Sauvé, Vice-Président du Conseil d’Etat – 2013

Une seule adresse : snalc.bordeaux@gmail.com

Alexandre DIENER-FROELICHER
Secrétaire académique
Commissaire paritaire certifié
0670771993