Chez les enseignants, le mal-être pousse à la démission

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Article paru dans le journal
SUD-OUEST
le lundi 29 novembre 2021 (voir le PDF)

Si les démissions de professeurs augmentent, peu de chiffres précis l’attestent. Des professeurs, qu’ils soient en devenir ou expérimentés, confient le mal-être qui les a rongés, jusqu’à l’abandon. Témoignages en Gironde.

« Dès le collège, je m’étais destinée à être professeure de littérature et de latin. » Lila, 22 ans, ne sera peut-être jamais prof. Au moment de passer son Capes à Bordeaux, en 2021, elle a décidé de renoncer à un métier qu’elle « respecte profondément ». Ses stages en collège et lycée lui ont montré les difficultés qu’elle aurait à subir une fois ce chemin emprunté.

Comme Lila, au départ, en fin ou en cours de route, ils sont de plus en plus nombreux à quitter l’enseignement. Alors que 364 professeurs démissionnaient en 2008-2009, au moins quatre fois plus l’ont fait l’an passé, selon les chiffres officiels du ministère.

Une hausse aussi en Gironde

De telles données sont rares à échelle territoriale. En Gironde aussi, les départs augmentent, à en croire Samantha Fitte, secrétaire du syndicat enseignant SNUipp-FSU Gironde. « C’est une tendance à la hausse, on le sait. On le constate tous les jours au sein de notre permanence syndicale », assure-t-elle.

Celle qui est aussi professeure en CE2-CM1 explique qu’il « n’y a pas une semaine sans qu’un ou plusieurs collègues » lui demandent la procédure de démission. Impossible pour l’instant de savoir combien ont quitté les rangs professoraux sur les 8 300 enseignants du premier degré que compte le département.

Les rares chiffres illustrant ce phénomène concernent les enseignants stagiaires, débutant tout juste dans le métier, au nombre de150 en Gironde. « Une petite dizaine » d’entre eux quitte les rangs tous les ans. Samantha Fitte l’assure, la « courbe est exponentielle depuis quelques années ».

Lila, elle, n’aura fait que quelques pas dans le métier. pour se préparer aux épreuves du Capes. elle a effectué des stages dans un lycée bordelais. Elle a suivi quotidiennement des professeurs et découvert une réalité du métier bien différente de ses aspirations.

La cruelle réalité du métier

Les enseignants « lui ont fait part de leur quotidien difficile », entre surcharge de travail supplémentaire, faible soutien hiérarchique, absence d’estime, « paperasse » écrasante et risque de précarisation du métier. « J’ai toujours eu envie d’enseigner, mais je ne voulais pas prendre tout ça sur mes épaules », confie-t-elle. « J’avais envie d’être prof, mais pas n’importe où ni à n’importe quel prix ».

Selon Samantha Fitte, ces nouvelles contraintes poussent « les collègues les plus jeunes » à arrêter. Elle affirme qu’entre le « prof bashing » et le faible soutien d’« institutions parfois malmenantes », « les conditions de travail sont devenues trop difficiles ». Cependant, le mal-être « se généralise », y compris chez les enseignants expérimentés « qui aiment leur métier. mais ne le reconnaissent plus ». Ce phénomène, Lila a pu l’observer sur le terrain. « Ils sont désarmés face à la hiérarchie. Ils n’ont aucune porte de sortie. » Certains démissionnent alors par défaut, parfois au prix de grandes désillusions. La rupture conventionnelle, mise en place en 2019, devait pourtant être une issue pour les professeurs. C’est un accord entre l’agent et l’employeur de la cessation définitive des fonctions. L’enseignant obtient des indemnités calculées en fonction de ses années d’ancienneté. Problème, les demandes sont trop nombreuses, à en croire Cécile Diener-Froelicher, présidente du Snalc Bordeaux, syndicat de salariés de l’Éducation nationale. « Ça montre l’importance de ce désir de quitter l’Éducation nationale. » Les ruptures sont accordées au compte-gouttes, faute de remplaçants. « Ils limitent la casse », ajoute-t-elle.

La démission : seule issue

Quitterie Tanguy, 44 ans, a failli voir son projet de reconversion salvateur être tué dans l’oeuf. Elle a été professeure des écoles pendant quinze ans dans plusieurs établissements de Gironde. Dégoûtée par « l’agression verbale de trop » de la part de parents d’élèves et la « dégradation du métier », elle a décidé de monter sa librairie. « J’avais moi-même financé une formation, trouvé un local. Le plan de financement était prêt. » Après deux ans de démarches parallèles, l’Éducation nationale refuse sa demande, « sans raison » selon elle. C’est comme ça que « des collègues déjà en situation difficile sont renvoyés devant les élèves », déplore Cécile Diener-Froelicher.

Mais pas Quitterie qui, dos au mur, a préféré démissionner et passer à côté de 14 000 euros d’indemnités pour ouvrir sa boutique au Bouscat. « Je me disais, si j’y retourne, je vais faire une dépression. » Elle l’affirme, d’autres enseignants, las, pourraient suivre. « J’en connais pas mal qui aimeraient bien partir. »

Alexandre Camino.